bi-portrait… ou un prétexte à la rencontre
La démarche bi-portrait embrasse tous les projets et toutes les créations de 2003 à aujourd’hui.
Le bi-portrait naît toujours d’une rencontre, qu’elle soit inattendue ou provoquée.
Avant d’être chorégraphiques, les bi-portraits sont photographiques. La démarche commence à un moment où, en France, le régime de l’intermittence du spectacle est menacé par le gouvernement. Je suis alors jeune danseur professionnel et me pose tout à coup la question de mon éventuelle reconversion. J’entame alors ce projet de double cliché photographique qui me permet d’aller vers des personnes que je ne connais pas nécessairement pour leur poser la question de leur sentiment d’être interprètes de leur propre métier. Je propose pour formaliser cela un échange de vêtements, la personne me prête sa tenue ou son uniforme et moi, en retour, toujours la même panoplie, chemise jaune, pantalons marrons et bottines que je portais alors. Cela aboutit à un dyptique dans lequel chacun·e pose dans un même cadre strict, celui choisi par la personne portraiturée.
Très vite, mon intérêt se déplace car je me rends compte que ce projet est un accélérateur de rencontres, avec des personnes que je n’aurais certainement jamais croisées. Un jour, je me suis amusé à les compter, il y en a plus de 500.
« Par bi-portraits photographiques, Mickaël Phelippeau convoque les dimensions artistiques, sociales et politiques qu’il accorde à la rencontre. Les questions qui le mobilisent ne sont jamais abstraites, hors-sol (…) Les bi-portraits invitent à se réfléchir dans deux directions, celle de la (re)connaissance de soi par le reflet de l’autre et celle de la (re)connaissance de soi par la réflexivité. Ils invitent à être soi tout en étant curieux·se et poreux·se à l’autre. » *
Le premier bi-portrait chorégraphique que j’ai fait, c’est avec Jean-Yves Robert, alors curé de la paroisse de Bègles, dans la proche banlieue de Bordeaux. Cela a donné lieu à un premier duo, un dialogue entre nous deux alors que tout nous séparait a priori, un échange sur nos vies, nos engagements, nos réflexions, nos différences et nos atomes crochus. Cette pièce commençait par notre interprétation de la chanson Like A Prayer de Madonna.
S’en sont suivis d’autres duos, avec Yves Calvez, chorégraphe d’un cercle de danse traditionnelle bretonne, ou avec Célia Houdart, auteure. Puis, je me suis effacé sur le plateau, mais la rencontre reste le point de départ, qu’il s’agisse de soli, de duos, de quatuors ou de pièces de groupe.
« Scénographiquement, les plateaux sont toujours mis à nu. Les rideaux, les pendrillons, les tapis de danse sont évacués et les murs, les sols, les espaces sont à découvert. Les interprètes empruntent toujours l’entrée du public pour rejoindre le plateau et l’habiter le temps d’une représentation. Ils et elles portent un sac contenant des vêtements, des chaussures ou des accessoires nécessaires tout au long de la pièce. Ils et elles ne quittent quasiment jamais la scène. Pas d’entrées, ni de sorties. Les gestuelles leur sont propres, bien que des citations d’autres bi-portraits émaillent les pièces et les relient. Il y a toujours des prises de paroles, en direct ou enregistrées. Le bi-portrait chorégraphique engage à parler en son nom et de son histoire. (…) il s’agit là de voir comment on peut être l’interprète de soi-même sur un plateau. Le travail de la lumière cherche à aller au plus près des personnalités et des propos qu’ils et elles livrent. L’évocation de la rencontre avec Mickaël a toujours une place, mais selon les projets, dans des variations qui vont de la forme duo pour bi-portrait Jean-Yves, bi-portrait Yves C, ou Membre fantôme, à la seule couleur jaune pour Lou, en passant par une apparition dans un des tableaux de Pour Ethan. Dans l’ensemble des bi-portraits chorégraphiques, le regard sur le pouvoir des rencontres et sur les liens entre l’individuel et le collectif restent le coeur de la recherche artistique de Mickaël Phelippeau. Ils rendent ainsi visibles des réalités personnelles et invitent à la proximité qui permet la reconnaissance et éloigne des images toutes faites. » *
Même si un bi-portrait ne peut être réduit à un sujet, une problématique, un univers ou ou une thématique, il est l’occasion d’un déplacement, d’un renversement, d’une confrontation à un ou des parcours singuliers et uniques : aborder la question du handicap avec De Françoise à Alice, se confronter à une discipline inconnue avec Footballeuses et Majorettes, découvrir une culture étrangère à Ouagadougou avec Ben & Luc, se pencher sur l’adolescence avec Pour Ethan et Avec Anastasia, rentrer en dialogue avec un autre art comme celui du chant avec Chorus et Soli...
Quelque soit le médium, la diversité et la singularité restent le cœur de ce qui m’anime. Chaque rencontre étant unique, j’ai l’impression que je pourrais bi-portraiturer jusqu’à la fin de ma vie.
- Mickaël Phelippeau
*extraits de Danse et condition handicapée : quels pouvoirs d’agir?, thèse de Françoise Davazoglou